Le consentement, cette vaste fumisterie

[CW : cet article parle de violences sexuelles, agressions, viol, sexe, propos violents etc]

Bon, j’avoue, le titre est un peu provocateur. Mais je le pense sincèrement.
S’il y a une base en matière de féminisme, c’est bien celle du consentement. Quand on lutte contre la culture du viol, on insiste toujours énormément sur le sacro-saint consentement. Nous avons dépassé le dicton qui dit « qui ne dit mot consent » pour rappeler qu’au contraire, qui ne dit mot n’a pas consenti. Nous aimerions qu’en cas d’agression sexuelle, ce ne soit pas la victime qui soit obligée de prouver qu’elle n’a pas consenti, mais au coupable de prouver que sa victime a bel et bien consenti. Ce serait une belle avancée, et c’est déjà le cas dans certains endroits.
Personnellement je trouve ça chouette mais on va pas se mentir, le problème est bien plus profond que ça.

Pour info, je vais à présent parler de manière très binaire et hétérocentrée, pour des questions de clarté à la lecture et aussi car l’immense majorité des violences sexuelles sont commises par des hommes sur des femmes. Cependant je le rappelle, les coupables et les victimes sont multiples.

 

 

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Consentement et passivité

Le premier problème à mes yeux, c’est que c’est systématiquement la même histoire : « a-t-elle consenti ? A-t-elle dit oui ? ». Homme propose, femme dispose. J’aimerais qu’un jour on demande « A-t-elle initié le rapport ? C’était son idée à elle ? ». Il parait donc logique que c’est toujours à la femme de consentir. Consentir, ça veut dire « accepter que quelque chose se fasse », d’après le Larousse. Ce n’est même pas « accepter de faire quelque chose ».

On vit donc dans une société où on se demande si les femmes acceptent que les choses se passent, et pas si ce sont elles qui prennent des initiatives. J’estime qu’à partir du moment où on se pose la question « a-t-elle dit oui ? » c’est déjà l’aveu qu’il y a un truc qui cloche, puisque qu’on part du principe que c’est forcément lui qui a désiré l’action et qu’elle n’avait qu’à dire oui ou non.

Viol =/= Sexe

J’ai souvent vu ou lu que, attention, le viol n’est pas du sexe, mais uniquement de la violence.

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Ce qui me met dans la plus profonde confusion car soyons honnête : le viol concerne quand même BEAUCOUP le sexe. Affirmer le contraire est assez aberrant, car au delà du fait qu’un viol n’est pas toujours violent, beaucoup de viol commencent par… du sexe. Parfois même consenti. Par ailleurs, ça met de côté toutes les fois où on a accepté que sexe se passe, par peur, par flemme, par stratégie, par automatisme, par désespoir, j’en passe et des meilleures. Ca passe sous silence le fait que le sexe en soi peut être violence. Ca oublie les fois où nous n’étions nous-mêmes pas sûr.es de vouloir mais que tout s’est passé si vite, ou celles qui ne se sont pas passées comme nous l’aurions souhaité mais que nous n’avons pas osé protester.

Penser qu’il y a une limite claire entre la simple partie de jambe en l’air et le viol,  c’est assez loin de la réalité. Autant je déteste quand les agresseurs se dédouanent en parlant de « zone grise », autant je pense qu’elle existe réellement, pour l’avoir fréquentée 75% du temps. Tout, dans la culture du viol, joue sur le flou. Tout, dans la façon de se comporter au lit de certains mecs, joue sur le flou. Tout, dans notre perception de nous-mêmes en tant que victimes, joue sur le flou. Nous demander, dans ce contexte, de théoriser constamment sur du net et précis, c’est quasi mission impossible. (Je précise que ceci ne doit jamais ô grand jamais servir à dévaloriser quelqu’un qui dit avoir subi un viol, au contraire)

 

Une conception psychonormative

Partir du principe que le consentement suffit, c’est jeter sous le bus les personnes pour qui dire non relève du parcours du combattant. Par exemple, les personnes qui ont des troubles psy ou une neuroatypicité. A titre personnel, entre les traumatismes, mes périodes d’hypersexualité pathologique, ma haine de moi-même, le fait que je sois incapable d’écouter mon corps, ma consommation d’alcool en soirée pour « tenir le coup », la soumission intériorisée, le fait qu’on ne m’ait jamais appris à dire non aux gens, la peur constante d’être violé, et l’envie d’être validé par les hommes, j’ai conscience d’avoir longtemps été une cible idéale.
J’insiste sur la peur constante du viol, car paradoxalement c’est cette peur qui nous pousse à dire oui, afin d’éviter le viol, même quand on en pas spécialement envie. C’est le serpent qui se mort la queue, hein ? Ayant été abusé dès l’âge de 11 ans, quand quelques années plus tard j’ai commencé être sexuellement active de mon plein gré, le plus sûr restait de dire oui à tout le monde, pour éviter les problèmes mais aussi pour chercher une sorte de normalité, d’équilibre dans ma sexualité (« j’ai dit oui donc tout va bien, je gère »), ainsi que pour m’assurer que les hommes voulaient encore de moi, car c’est ça qui est important n’est ce pas. Et je sais que c’est un phénomène courant parmi les jeunes victimes.
J’insiste aussi sur la haine de soi, car dire oui à quelqu’un qui ne nous attire pas, comme pour se punir, ça arrive aussi. Quand on est dans un cercle vicieux où on ne sait plus pourquoi on fait ce qu’on fait, qu’on se laisse persuader qu’on est une fille facile, une nympho, une salope, un simple objet, un « vide-couille », alors on continue d’essayer de se le prouver car après tout, on ne mérite pas vraiment mieux. Quitte donc à consentir et s’anesthésier pendant l’acte.
Pourquoi je parle de ça ? Car on considère que toutes les personnes qui consentent le font en étant bien dans leur tête et dans leur corps, en conséquence on donne une valeur énorme à leur « oui », ce qui à posteriori leur enlève le droit d’avoir mal vécu le rapport et/ou d’être malgré tout sous le choc.

Le consentement, ce mot magique

On entend parfois « les nanas qui se plaignent de viol c’est juste qu’elle ont fait du sexe et ont regretté ». Ce à quoi des féministes répondent « Non, pas du tout, ce n’est pas du regret ». Et pourquoi ? Pourquoi on ne peut pas dire que oui, peut-être, mais ça n’invalide pour autant leur plainte ? Oui, parfois on regrette, c’est la vérité. On regrette car dans beaucoup de rapports sexuels il y a aussi rapport de domination, et que tout ne se passe pas toujours comme prévu. Oui, parfois on regrette car on n’a jamais dit qu’on était d’accord pour tel ou tel acte, et pourtant l’autre ne s’est pas gêné. Quand on est pas un mec cis, passer au lit avec un mec cis est très souvent risqué. J’ai souvent eu l’impression de me retrouver face à quelqu’un qui entre dans une arène et cherche à montrer qu’il est le meilleur gladiateur.

Ce que je trouve flippant c’est qu’il existe dix milles raison de « consentir » à un rapport sexuel sans réellement le vouloir, et au moins dix milles autres raison de le vivre mal, mais à partir du moment où on a répondu OUI à la sainte personne qui nous a demandé gentiment « souhaites tu copuler » (>> en vrai ça se passe rarement ainsi), alors hop tout est effacé, le consentement y est donc c’est fini affaire classée. Plus question d’analyser les rapports de pouvoir.
Pour un autre exemple rapide, combien de fois on a entendu cet argument que les ados de moins de 15 ans étaient en capacité de consentir librement avec des adultes, ce qui est évident, alors que la vraie question c’est : pourquoi un.e adulte veut-il avoir un rapport avec un.e ado de moins de 15 ans ? Peut être que si on posait plus souvent la question à l’envers, on se rendrait plus facilement compte de tout le glauque qui se cache sous les draps. « Pourquoi voulait-il coucher avec elle ce soir là ? Est ce parce qu’elle a une réputation de fille facile ? Pourquoi voulait-il absolument un rapport anal ? Pourquoi n’est-il pas rentré à 22h au lieu d’attendre la fin de soirée ? Pourquoi lui a-t-il resservi trois fois un vodka-coca ? Pourquoi n’a-t-il pas attendu qu’elle lui propose un truc ? Pourquoi pourquoi pourquoi ?  »

 

Je ne veux plus avoir à accepter que chose se passe. Je ne veux plus avoir à demander si « elle a dit oui » car c’est déjà preuve que ça ne va pas. Je ne veux plus qu’on vive dans la poisse des regrets et la culpabilité d’avoir dit oui. Je veux qu’on prenne en compte que si le non vaut de l’or, le oui est toujours à prendre avec des pincettes.
Tout ça, ce sont des miettes que la culture du viol veut bien nous céder.

 

 

14 réflexions sur “Le consentement, cette vaste fumisterie

  1. Excellente réflexion. Ça fait quelques années que je me demande s’il ne faudrait pas remplacer la notion d' »adultes consentants » par celle d' »adultes désirants » ? « Que désires-tu ? », « de quoi as-tu envie ? » seraient les phrases « magiques » après lesquelles je pourrais me demander si ce désir rencontre le mien (ou l’un des miens, car on n’a pas forcément qu’un désir unique à un instant donné).
    Reste à conserver la capacité à se laisser surprendre par une idée qu’on avait pas eue, une geste nouveau, une ouverture à l’autre… mais ça ne viendrait qu’après cette première question, faussement simple.

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  2. Bonjour,
    J’ai trouvé votre réflexion sur la notion de consentement et de désir très intéressante et je vous rejoins sur pas mal de points. Notamment sur le fait que le fait qu’un viol avoir lieu sans insultes et sans coups et blessures. Je pense néanmoins que vous êtes passé.e à côté du message même de l’image: le viol, ce n’est pas une relation sexuelle à l’occasion de laquelle il y a eu de la violence (visible ou non), c’est une agression dont la circonstance est sexuelle. Ca permet justement de dire que le viol, peu importe sa forme, est une violence et que ca n’a rien à voir avec du sexe consenti et désiré.

    Je pense aussi qu’il faut distinguer la « déception » telle que vous la décrivez à la violence invisible. Et ne pas mettre trop de choses dans ce terme.
    Le cliché du « elle dit que c’est un viol parce qu’elle regrette » est le mythe selon lequel une femme avait envie mais va essayer de laver sa conscience et son honneur en disant qu’elle a été forcée plutôt que d’assumer un choix qui s’est avéré une erreur.
    La violence invisible existe et effectivement, il peut arriver qu’on ne puisse pas dire non pour tout un tas de raisons liées à cette violence et qu’on regrette le lendemain cette incapacité à dire non. Alors oui, on peut parler de viol. Quand on ne peut pas dire non à cause de ses propres traumas et de ses difficultés psychologiques qui ne sont pas forcément liées à l’autre, alors il faut faire attention avec l’accusation de viol. Il est de la responsabilité de chacun de prendre soin de lui/elle et d’apprendre à poser ses limites. Peut-être que le commentaire plus haut va dans ce sens (même si je le trouve très indélicat pour ne pas dire agressif). Et dans ce contexte, je pense -mais je peux me tromper- qu’il faut distinguer l’aspect légal de l’aspect sociétal. En droit, on a besoin de preuves sinon on n’a pas de droit (pour le dire de façon très schématique). Pour faire évoluer la société et travailler ensemble à ce que personne ne soit plus dans l’incapacité de dire non, quelle que soit la raison, alors il faut parler des notions de consentement et de désir comme vous le faîtes. Ce sont juste des batailles différentes qu’il faut mener de façon adaptées.

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    • Personne ne parle d’accusation de viol dans les cas d’incapacité à dire non, justement, c’est bien plus compliqué que ça. Parler de ce qui s’inscrit dans la culture du viol ne veut pas dire que tout devient automatiquement viol. Mais ce serait chouette que les gens réfléchissent au dela de « elle a dit oui », c’est tout le propos de l’article.

      Quand a la charmant suggestion d’aller voir un psy, que la personne se rassure tout est sous controle.

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  3. En tant qu’asexuelle, je trouve que cela fait assez sens. Je n’accuserais pas mes partenaire de viol, de harcellement sexuel ou de toute autre chose du genre, mais il est absolument certain que je ne désirais en fait pas ces relations, ou en tout cas pas toutes. J’ai eu une sexualité très jeune, et je pense que je compensais vraiment le fat que les injonction au social au sexe faisait pas du tout écho avec mon expérience en me sur sexualisant. Cette zone entre consentement et refus existe vraiment, et personnellement (mais là ça dépend bien des citations je pense) je n’ai pas du tout envie de blâmer mes partenaire pour les fois ou j’en ai fait l’expérience parce qu’il n’avait de moyen de voir cet état de fait, je en souhaite pas du justice ou de réparation, mais en revanche si parler de cette réalité peut permettre à certaines (et certains ?) après moi de ne pas vivre ce qui a pour moi (et la encore, diversité des expériences) été un traumatisme je pense que qu’il faut le faire.

    En tout cas merci, j’ai essayé d’exprimer cette idée une fois, et j’me suis sentie tellement seule, et tellement absurde :’)

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  4. Très intéressant. Je n’avais jamais pensé à ce « oui » paradoxal pour « éviter le viol », mais je suis sûre que c’est bien plus fréquent qu’on ne le croit. Et bien sûr, vous avez raison sur la nécessité de poser aussi la question « à l’envers ».
    Quand on voit le dernier rapport du Haut Conseil à l’Égalité sur la fréquence du viol en France et celui de l’IPSOS en décembre dernier sur les représentations des français sur le viol et les violences sexuelles, aussi consternants l’un que l’autre, il y a du pain sur la planche!
    Merci pour ce texte.

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  5. D’où, je pense, la nécessité d’une remise en cause de la sexualité, présentée comme « évidence naturelle », en tant que rapport social – et système de valorisation, avec ses injonctions intériorisées et externes, où toutes les options finissent par converger. Il y a un énorme boulot à faire de ce côté là mais nous sommes tétanisées par le reproche de « mettre en cause l’évidence », quand ce n’est pas « d’empêcher de jouir (!) » – qui ?. Or ce sont les évidences, et les implicites, et leur reproduction « spontex », qui structurent la violence sociale. Contente de vous avoir lue.

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  6. Très intéressant.
    Merci, ainsi qu’à toutes (sauf une) les personnes qui ont commenté. Je me sens moins bête grâce à vous.

    +1 sur l’injonction au sexe. Il faut désirer, il faut baiser, il faut jouir et faire jouir. Au secours!

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  7. Merci. Beaucoup de grain à moudre. Je pense quand même qu’on devrait toujours aider ses partenaires à savoir ce qu’iels veulent et à l’exprimer. Je pense qu’il y a une façon de poser *vraiment* la question, en laissant grand ouvert dans sa propre tête un espace bienveillant où l’autre peut répondre non, ou je sais pas, ou n’importe quoi d’autre qu’un « oui franc et enthousiaste », sans que ça ne déclenche rien de négatif. Et je pense que les gens qui font ça, qui ont conscience de tous ces « oui » qui n’en sont pas, les gens qui s’appliquent à proposer à leurs partenaires de vraiment décider, divisent par cent le risque de faire violence à quelqu’un.

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